Serges Ngassa : « Nos cacaoyers ont pris racine en harmonie avec la forêt, sans jamais altérer l'équilibre précieux de son écosystème. »
Serges Ngassa, fondateur de Ngassam Farm, Fram to Bar et Cocoa Valley Suisse, héritier d’une longue tradition agricole camerounaise, a tracé un parcours singulier : de la restauration à l’humanitaire, avant de concrétiser sa passion pour le cacao en s’installant comme producteur-chocolatier à Nyon, Suisse.
Ses racines plongent dans les terres camerounaises, où sa famille cultiva d’abord le tabac dans les années 1930, puis le café jusqu’aux années 1980. Quand l’effondrement des cours du café a tout emporté, Serges Ngassa n’avait pas encore 5 ans. Ce drame agricole, cette terre soudain stérile pour ceux qui la travaillaient, a forgé sa résilience et une conviction indéfectible : une agriculture digne doit concilier passion paysanne et viabilité économique.
Aujourd’hui, chaque cacaoyer planté sous l’ombre des bananiers à Ngassam Farm est un hommage vivant à cet héritage perdu. Plus qu’une culture, c’est un manifeste : la preuve qu’une alternative existe, où le cacao nourrit autant les sols que ceux qui le cultivent.

De la cuisine à la plantation
Son parcours, tissé de chance et de labeur, l’a mené des bancs d’école aux fourneaux camerounais. Sa fierté ? Avoir transformé le Restaurant du Peuple à Foumbot en un carrefour gourmand où vibre l’âme de l’Afrique. Dans cette cuisine ouverte, le parfum des brochettes nigérianes épouse le thiéboudienne sénégalais, tandis que les haricots mijotent comme au village natal. Plus qu’un restaurant, ce fut un manifeste : chaque assiette devenait une carte postale du continent, servie aux routards comme aux habitués.
» Les chefs ont compris l’importance d’acheter le produit au prix juste, pour pouvoir payer les producteurs. « – Serges Ngassa, Le Monde, Paris, 2021

Premières fèves en 2016
Pour Serges Ngassa, 2016 fut l’année où tout bascula. Alors que ses cacaoyers donnaient enfin leurs premiers fruits, une autre graine germait en lui : le besoin profond de donner un nouveau sens à sa vie. Son restaurant de Foumbot tournait désormais comme une horloge, laissant place à une nouvelle aventure.
C’est vers Médecins Sans Frontières qu’il se tourna, commençant comme simple maçon sur les chantiers camerounais. Peu à peu, il gravit les échelons pour devenir logisticien, parcourant le pays d’Akonolinga jusqu’à Genève. Ce fut lors d’une mission en 2006-2007 que le destin frappa à sa porte : une rencontre déterminante avec une infirmière suisse qui allait devenir son épouse et sa plus précieuse alliée.
Pourtant, malgré tout ce qu’il avait accompli, Serges sentait qu’il pouvait aller plus loin. Avec son épouse, ils partageaient un même rêve : créer quelque chose qui dure, qui puisse vraiment changer la vie des communautés locales. Le haricot et le maïs, ces cultures d’une saison, ne suffisaient pas.
C’est alors que la solution s’imposa à eux, aussi évidente que les cacaoyers qui poussaient dans leur plantation : une culture pérenne, noble, capable de porter leurs espoirs.
Ils imaginèrent alors un modèle unique, construit à l’envers des pratiques habituelles. Au début de la chaîne, avant même de penser profits ou clients, il y aurait les producteurs et leur juste rémunération. Une idée simple, révolutionnaire, qui allait faire de Ngassam Farm bien plus qu’une plantation – un symbole de ce que l’agriculture africaine peut accomplir quand on lui donne sa chance.
Serges Ngassa et son équipe ont opté pour une agriculture respectueuse, alliant permaculture et agroforesterie afin de cultiver leurs cacaoyers sans perturber les écosystèmes locaux. Cinq longues années d’attente furent nécessaires avant les premières récoltes.
En 2016, une cruelle réalité s’imposa à ces néophytes : obtenir un prix équitable pour leurs fèves s’avérait quasi impossible. Ce constat devint un électrochoc. Serges Ngassa prit alors une décision radicale : maîtriser l’intégralité de la chaîne de valeur, transformant personnellement leur récolte en chocolat selon le principe du farm to bar – de la plantation à la tablette.
» Aujourd’hui, j’ai 52 employés à temps plein sur la plantation et beaucoup plus pendant les récoltes. Je travaille avec près de 200 chefs, et le chocolat que l’on propose rémunère et met en lumière le travail de tous les gens de l’ombre. C’est ma plus grande fierté. » – Serges Ngassa, Le Monde, Paris, 2021
Cacao révolutionnaire : de la cuisine au palais des chefs
Tout commença dans la modestie d’une cuisine, où un simple four et un sèche-cheveux devinrent les premiers outils de Serges Ngassa. Cette alchimie improvisée, mêlant passion et persévérance, demeure aujourd’hui encore l’emblème de la philosophie Ngassam Farm.
Son apprentissage prit une nouvelle dimension avec une formation auprès de maîtres torréfacteurs italiens. Armé de ce savoir-faire, il osa soumettre son chocolat à l’épreuve des grands chefs. Leur verdict fut sans appel : non seulement ils adoptèrent ses créations, mais s’approprièrent sa vision révolutionnaire – un commerce où le prix juste récompense la noblesse du cacao et garantit aux producteurs la dignité qui leur est due.
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