Serges Ngassa : "Le jour où je séduis le chef Thierry Court avec mon cacao"
Parcours atypique vers l’excellence chocolatière
Avant de devenir chocolatier, Serges Ngassa a suivi un chemin détourné. Diplômé en logistique de l’université de Yaoundé, il rejoint Médecins Sans Frontières au milieu des années 2000, alors que l’ONG lutte contre une épidémie de choléra au Cameroun. C’est sur le terrain, en constatant la précarité des cultivateurs locaux et les prix dérisoires du cacao, que germe son projet : créer une filière équitable.
Son engagement humanitaire avec MSF Suisse lui offre une perspective unique sur son pays. Lors de ses missions, il rencontre Carine, une infirmière suisse qui deviendra sa femme et sa partenaire dans cette aventure. En 2012, prenant son destin en main, il vend ses biens pour acquérir des terres agricoles dans la vallée de Sanki, à l’ouest du Cameroun, complétées plus tard par une parcelle à Ayos, dans le centre.
Sur ces terres, Serges Ngassa plante méthodiquement ses premiers cacaoyers et bananiers plantains, tout en installant une ferme d’élevage au cœur de la plantation. Son approche respecte scrupuleusement les traditions locales et les équilibres naturels.

Il développe un modèle innovant de permaculture où tout s’articule : les animaux fournissent l’engrais naturel pour les cacaoyers, tandis que les bananiers offrent ombre et irrigation constante grâce à leurs racines généreuses.
Pour assurer la viabilité économique du projet, il diversifie les cultures. Un tracteur agricole lui permet de produire du maïs dont la vente finance le développement des cacaoyers. Bananes plantains et maïs deviennent ainsi les piliers financiers qui soutiennent la croissance de sa jeune plantation de cacao. Cette économie circulaire ingénieuse illustre sa vision : une agriculture durable qui allie productivité et respect de l’environnement.
Ce modèle original, combinant cultures vivrières et cacao premium, pose les bases de ce qui deviendra Ngassam Farm – une entreprise aussi respectueuse des hommes que de la terre qui les nourrit.
» Je ne suis pas devenu chocolatier tout de suite. Après des études de logistique à l’université de Yaoundé, je travaille pour Médecins sans frontières. « – Serges Ngassa, Paris Match, Paris, 2020

2016 : Le défi de l’exportation et la reconnaissance des chefs
Après des récoltes prometteuses en 2016, Serges Ngassa se lance dans l’exportation de ses fèves de cacao. Mais le parcours s’avère semé d’embûches. Les routes en mauvais état rendent l’acheminement vers les métropoles particulièrement difficile, tandis que les démarches pour obtenir une licence d’exportation – un aspect qu’il ne maîtrisait pas – se révèlent complexes. Grâce à l’aide d’amis spécialisés en droit, il parvient finalement à organiser ses premiers envois par fret aérien.
La consécration gastronomique
En France, Serges Ngassa mise sur des séances de dégustation pour faire valider la qualité de son produit par des experts. Sa rencontre avec le chef Eric Favre, à Saint-Cergues en Haute-Savoie, marque un tournant. A la demande du chef, il crée deux chocolats sur mesure : un noir à 70 % torréfié à 120 °C et un chocolat au lait allégé en matières grasses, torréfié à 130 °C. La réaction du chef Favre est sans appel : « C’est un produit d’exception, avec toutes les notes aromatiques. »
Encouragé par ce premier succès, Serges Ngassa multiplie les rencontres avec d’autres grands noms de la gastronomie française comme Franck Belleton ou Thierry Court, qui s’enthousiasment également pour son chocolat. Il sollicite aussi l’avis de ses formateurs de l’école internationale de chocolaterie de Milan, où il a suivi une formation intensive de trois mois. Leur verdict unanime achève de le convaincre : son chocolat a trouvé sa place parmi les grands.
Cette reconnaissance par les professionnels lui donne l’élan nécessaire pour persévérer dans sa voie : produire un chocolat d’exception tout en préservant l’équité envers les producteurs. Un équilibre délicat qu’il est désormais en mesure de partager avec le monde.
» Un chocolat de qualité produit sans engrais chimiques ni pesticides » – Serges Ngassa, Paris Match, Paris, 2020
L’aboutissement d’un rêve : l’usine chocolatière de Villaz
Le 8 décembre 2018 marque une étape décisive pour Serges Ngassa avec l’inauguration de sa chocolaterie à Villaz, en Haute-Savoie. Ce projet ambitieux voit le jour grâce à une campagne de crowdfunding couronnée de succès en Suisse, atteignant 114% de son objectif initial. En moins d’un mois, cette opération permet de réunir plus de 23 000 euros, démontrant l’engouement du public pour son approche innovante du chocolat.
Cette usine devient le symbole matériel de son parcours exceptionnel – de la culture du cacao au Cameroun à la transformation artisanale en France. Elle concrétise plusieurs années d’efforts pour maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, depuis la plantation jusqu’à la tablette finie.
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